Les étoiles brillaient doucereusement au-dessus du foyer, et Fauve s’étonna de leur vivacité malgré le mur de pollution qui recouvrait si souvent Ottawa ces derniers temps. Elle contemplait le ciel nocturne du haut du toit, soufflant du bout des lèvres la fumée d’une cigarette mordillée par le froid de la nuit. Elle n’avait jamais vraiment aimé l’acte de fumer, mais il y avait un goût, une odeur qui lui rappelait sa petite enfance, quand son père avait encore des poumons à bousiller. Elle aimait bien se retrouver sur les tuiles du toit penché, qu’elle pouvait atteindre grâce aux gouttières qui jouxtaient sa fenêtre. Il faisait frisquet, mais elle s’en moquait, elle avait enfilé un gros pull, attrapé
Hymn to Solitude, encorné deux trois pages intéressantes puis s’étaient perdue dans la contemplation de la ville. Elle ne voyait pas grand-chose de son point de vue, mais elle adorait laisser son regard se perdre à l’horizon, ou même sur les fenêtres de l’immeuble en face, petites portes sur la vie d’autres personnes qu’elle ne connaitrait jamais.
La mer de ma vie a été pendant cinq ans à sa marée basse :
De longues heures ont laissé rouler«
- Hé, Fauve. » Une petite tête connue sortit de par sa fenêtre, et l’intéressée grogna de devoir partager son petit espace de paradis avec Mairead, qui s’incrustait constamment pendant ses moments de quiétude paisible. «
Quoi encore ? » «
Y’a les gars du deuxième qui ont foutu le feu aux poubelles de devant, on voit quelque chose d’où tu es ? » «
Oh putain les cons. » «
Ca tu l’as dit. » «
Ouais, on voit d’ici. » La petite blonde grimpa à ses côtés et elles regardèrent, amusée, le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. «
Ils ont treize ans ces p’tits merdeux. » «
Arrête d’être si grossière ! » gémit la petite, de deux ans sa cadette. «
Tu essayes de rentrer dans les clichés des foyers ou quoi ? » Elle hausse les épaules. Ce n’était pas sa vie en foyer qui l’avait rendue vulgaire, elle l’était déjà bien avant, mais elle n’avait pas envie d’en parler. Mairead pensait tout savoir sur tout le monde, et elle n’avait pas envie de rentrer dans un débat sempiternel qu’elle avait presque hebdomadairement avec la gamine. «
En plus, tu fais pire quand tu t’y mets. » «
Ouais, mais moi je fais plus intelligent que ça. » Elle souffle une tempête de fumée sur la tête de la petite blonde et se marre en repensant aux quatre cents coups qu’elle a pu faire en étant ici. «
Au fait, tu tiens ton bouquin à l’envers, » lui fait signaler sa comparse. «
Ah, ouais. » Elle remet John à l’endroit, se sentant un peu idiote de ne pas s’en être rendu compte auparavant. Mais Mairead savait que cette manière qu’elle avait de toujours emporter un livre avec elle était plus symbolique que réelle. C’était peut-être l’une des seuls à connaître son déficit de confiance – elle n’était même pas certaine que ça se disait. «
Ils ont appelé les flics ? » «
Hein-hein. » Fauve se sent un instant presque euphorique à l’idée de voir les poulets débarquer, car il y avait toujours une chance pour que ce soit Ciàran. C’était un peu le seul type qu’elle connaissait en dehors du foyer et qu’elle appréciait assez pour risquer de faire des conneries rien que pour le voir. Enfin, ça ne lui était jamais arrivé quand même, parce que pour peu que ce ne soit pas lui, elle serait dans un tourbillon d’emmerdes, mais voilà. C’était une métaphore, quoi. «
Tu restes là ? » demande l’aînée. Après un hochement de tête, Fauve redescend jusqu’au rez-de-chaussée et s’adosse à la porte d’entrée, alors que le personnel éteint le feu avec un extincteur et fout une branlée aux trois cons qui se sont dit que ce serait l’idée du siècle. On entend déjà les sirènes de la police. Parfois, quand les gosses étaient un peu trop virulents, ils appelaient les autorités pour leur foutre la trouille, pour leur faire comprendre qu’il y avait des choses que l’on ne faisait pas. Après, ils étaient souvent appelés par les voisins qui ne se sentaient pas très à l’aise. Elle ne savait pas qui avait fait le coup cette fois-ci, mais elle attendit avec impatience leur voiture en éteignant de manière consciencieuse son bâton de cancer, pour ne pas refoutre le feu par-dessus.
La voiture s’engagea finalement dans l’allée, et elle savait que c’était Ciàran. Il y avait un autre gars dans l’habitacle, peut-être un coéquipier, mais elle s’en moquait. Elle repéra un voisin en train de s’engueuler avec la pauvre Camilla, c’était la plus sympa de toutes, elle prenait tout le temps la défense des gosses, c’était une fille bien. Du haut de ses vingt-cinq ans, elle essayait vainement de répondre au verbiage de l’homme ; sans grand résultat. En plus d’avoir foutu le feu à leurs poubelles, les trois gars avaient brisé une de leur vitre, parce que leur gosse leur avait fait la misère en cours la veille. Fauve connaissait ce besoin de vengeance, mais y’avait autre chose que de foutre le feu ou péter des vitres. La brune salua Ciàran quand il descendit de sa voiture et lui fit un petit sourire dont seule elle avait le secret. «
Salut cap’taine. Bon courage pour gérer ça. »
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