Elle suffoque. Un instant, elle croît qu'elle va s'effondrer, et ne plus respirer. L'air gelé lui embaume l'oesophage, mais l'espace la rend soudainement folle. Elle qui a eu l'impression de mourir, n'est aujourd'hui que confrontée au monde qui l'entoure. Etait-elle habituée à sa cellule ? Certainement. Pourtant, elle aimerait beaucoup ne pas l'avoir été. Elle souhaiterait effacer tous ses souvenirs, et ne pas avoir peur de cette libération. Car oui, aujourd'hui, ce soir, elle est libre. Märta Klein l'a finalement délivrée, ou plutôt, laissée partir. Le procès est terminé, la pauvre étudiante n'a donc plus rien à faire, à part se relever parmi les décombres que le couple d'avocats a laissé. Elle a été séquestrée. Une vérité qu'elle a encore du mal à assimiler. Pourtant, ses larmes ne cessent de couler sur ses joues. Elle pleure, car elle ne sait plus où elle est, elle ne sait plus qui elle est non plus. Que lui ont-ils fait ? Pourquoi l'ont-ils fait ? Un acte si affreux, qui serait éternellement impuni. Les séquelles, elle les gardera toute sa vie. Et eux, ils n'auront que la satisfaction. Ou du moins, c'est ce que Shannon croit. Elle le croit plus qu'en elle-même. Ils l'ont transformée en proie, ils l'ont transformée en jouet. Comment a-t-elle pu être réduite à cela ? Comment est-il possible que quelqu'un souhaite faire cela à un autre être humain ? Elle l'ignore, et pourtant, elle l'a vécu.
Elle se fracasse contre un lampadaire, retenant son poids d'une force qu'elle pensait partie. Elle sanglote, elle souhaiterait crier. Mais personne ne l'entend. Elle est seule, face à tout cela. Elle est seule, comme toujours, car elle n'a jamais pris le temps de découvrir les âmes qui flottent autour d'elle. Alors elle lève les yeux au ciel, et contemple la nuit. La nuit noire, celle qui la terrorise, d'habitude, et que pourtant, elle ne voit pas. Comme si toutes ses phobies avaient disparues avec son essence. Car Shannon ne semble plus être. Pourtant, elle est bien là, quelque part sous ses vagues de perles salées. Elle fixe l'entrée de l'immeuble et ferme les yeux. Maxine. Une étudiante qu'elle ne connaît que depuis peu, si bien qu'elle n'a jamais osé la compter réellement comme une amie. Et pourtant, ce soir, elle en est une. Shannon a besoin d'elle, et elle ignore pourquoi elle n'a pas été chez ceux en qui elle a entièrement confiance. Elle est venue ici même, pour voir cette jeune femme qu'elle ne pensait jamais trouver cette place en son esprit en si peu de temps. Alors elle s'approche, s'accroche comme elle peut à la porte, sentant sa tête tourner. Elle va se confronter à la réalité, ce soir, en avouant tout ce qu'elle vient de vivre. Elle le sait, elle le sent, elle ne pourra que s'anéantir un peu plus.
Elle ferme les yeux, chasse ce nœud dans sa gorge, une seconde, un instant. Elle appuie sur l'interphone, s'annonce, entre, en vitesse, en essayant de fuir ces fantômes qui la guettent. Dans l'ascenseur, elle sent la nausée la prendre par surprise, empoignant son estomac d'une force incommensurable. Elle avale sa salive, tente de respirer, appuie plusieurs fois sur l'étage qu'elle souhaite atteindre. Comme si cela la ferait arriver plus vite. Ironie. Les portes s'ouvrent, et elle aperçoit la porte. Elle s'immobilise. Elle a soudainement peur de ce qu'elle est venue affronter : ses propres démons. Cette nuit, elle va simplement trouver du réconfort, mais aussi percuter la réalité de tout ce qu'il s'est produit. Elle avance en essayant de maintenir ses gémissements plaintifs à l'intérieur de sa gorge. Mais lorsque la sonnette retentit, ils ne font que réapparaître plus violemment. L'apparition de Maxine dans son champ de vision ne fait qu'enfoncer le poignard dans sa plaie béante. La douleur s'intensifie et lui lacère le cœur. Elle s'effondre, encerclant ses bras de ses mains, comme pour se protéger d'un élément extérieur inexistant.
« Max.. »
Elle baisse les yeux, fuit son regard.
« Je suis désolée ! »
Elle pleure. Pour la première fois depuis le début, elle pleure comme elle n'a jamais pleuré. Les flots recouvrent son visage. Elle ignore si ces excuses vont directement à Maxine pour l'heure à laquelle elle s'annonce, ou si elle s'adresse au destin qui lui joue des tours. En fait, elle ne sait plus. Elle est totalement perdue. Mais, au moins, elle n'est plus seule.
Shannon ❧ Maxine ❝ Deep Impact ❞ Les partiels étaient fini et il fallait que je décompresse. Et la sortie d'hier, les quelques verres beaucoup trop nombreux- avait été une bonne solution. Mais je me réveillais et le regrettais immédiatement. Certes, j'avais passé une soirée super, je ne m'étais pas amusé comme cela depuis des mois, mais le martèlement continu dans ma tête me rappela que je ne tenais pas du tout l'alcool. Je sortis de mon lit et remarquais que je portais toujours ma robe noire, et que mes chaussures, mon sac et mon manteau, traînaient au sol lamentablement. Je ne me souvenais même pas, comment j'étais revenue ici en un seul morceau ! Je me traînais dans la cuisine et descendis l’intégralité de ma bouteille d'eau. Décidément, cela allait être dur. J'avais l'impression d'être une grand-mère. Il était milieu d'après-midi et je décidais de prendre une douche, peut-être que cela aiderait... Même si je restais sceptique. Le contact de l'eau brûlante sur ma peau détendit mes muscles et me fit un bien fou. L'eau glacée qui arriva après que j'ai vidait le ballon d'eau chaude fus beaucoup moins agréable. Mais cela eut au moins le mérite de me réveiller. Une fois sèche, j'enfilais un vieux jogging, un Sweet et attachais mes cheveux en une queue-de-cheval. Je n'avais aucune intention de sortir ce soir ! Affalée devant la télévision, je fus prise d'une fringale et me ruais dans la cuisine. Rien d'appétissant dans le frigo... Mais le pot de glace au chocolat dans le congélateur et la bombe de chantilly ne me fit raidement de l’œil. Quel beau tableau : moi lamentablement étalé de tout mon long dans le canapé, en jogging avec un pot de glace au chocolat recouvert d'une belle couche de chantilly. Plus sexy tu meurs ! Je fus coupé dans ma soirée de folie par le grésillement de l'interphone. J'attrapais la télécommande, baissais le son et écoutais rapidement. Shannon. Et elle n'avait pas l'air d'aller bien. Je me dépêchais d'aller appuyer sur l'interrupteur pour lui ouvrir la porte du bas. Bêtement j'attendais à la porte qu'elle sonne. J'avais bien entendu à son ton que cela n'avait pas l'air d'aller. Mais je ne m'attendais pas à ce que sois vers moi qu'elle vienne chercher du réconfort. Je n'étais pas vraiment la plus douée pour cela. La sonnette retentit enfin et je posais la main sur la poignée, ouvrant la porte avec une certaine appréhension : Qu'est-ce qui pouvait bien lui être arrivé ? À peine la porte ouverte, elle s’effondra devant moi, encerclant son propre corps de ses bras. Je la rattrapais rapidement et la tenais contre moi, pour la garder sur ses pieds et dans un geste qui se voulait rassurant « Max...Je suis désolée ! » Et elle fondit en larmes. Je n'avais jamais vu, quelqu'un perdre pied à ce point. « T'inquiète, entre vite. » Je n'attendais même pas une réaction de sa part et l’entraînais dans mon appartement, fermant la porte d'un coup de pied. Je l'emmenais dans le salon et la fis s'asseoir sur le canapé. Je me posais à côté d'elle et attrapais une boîte de mouchoirs qui traînait sur la table et lui en tendit avec un petit sourire. « Tiens... » Je la laissais essuyer les larmes qui inondaient son visage et reprit la parole. « Qu'est-ce qui ne va pas.. ? » Je n'avais jamais eu de tact et ne savais pas vraiment tourner autour du pot. Mais j'avais de la compassion, et même si nous ne connaissions pas depuis très longtemps la voir dans cet état me rendis triste.
Maxine. Elle ne lui a que très peu dévoiler sa véritable personnalité, celle enfouie sous la carapace qu'elle s'est forgée au fil des années. Ou du moins, le minuscule voile qui couvre son regard perdu et isolé. Elle n'y peut rien, elle est ainsi, solitaire, dans le meilleur et dans le pire. Qu'est-ce qui a changé, ce soir ? Shannon l'ignore elle-même. Mais pour la première fois de toute son existence, elle a besoin d'un ami, de quelqu'un qui l'aidera à réaliser tout ce qui vient de se produire. Et qui saura, peut-être lui faire comprendre toutes les conséquences de ce qu'il s'est passé. Mais a-t-elle réellement envie d'en parler, maintenant, quelques heures après sa libération ? Elle en doute. Du moins, elle n'en a guère envie. Elle souhaiterait simplement pleurer, comme pour vider son âme de toute sa peine. Néanmoins, elle sait également qu'il lui faut avancer, et au plus vite, et non se complaire dans ses ténèbres. Il faut qu'elle remonte à la surface et qu'elle prenne une bonne dose d'oxygène. Eviter la noyade à tout prix.
En entrant, Shannon n'a pas le temps d'observer où elle se trouve réellement. En vérité, tout cela lui importe peu. Elle n'est jamais entrée ici, elle n'a jamais trouvé Maxine en dehors des cours, mis à part pour s'y rendre. En fait, elle ne pensait pas qu'elle viendrait la voir elle. Et pourtant, elle est bien là. Une boîte de mouchoirs se dépose sur ses genoux, alors qu'elle en ôte quelques uns pour dégager ses voies respiratoires. Mais ses larmes ne cessent de couler, et ses poumons d'être oppressés. Il ne semble plus y avoir d'issue. Ses quelques bleus lui arrachent une grimace alors qu'ils lui lancent une décharge. Elle passe une main sur son visage, une fois, deux fois, trois fois, mais ses yeux ne cessent de fournir de l'eau salée. Va-t-elle au moins pouvoir expliquer ce qu'il vient de lui arriver ? Elle n'ose même pas regarder Maxine. Elle ne sait plus si tout cela est une bonne idée, finalement.
« Ils... Ils m'ont... Ils m'ont enfermée... Dans... Dans leur cave.. ! »
Un sanglot se mue en crie alors qu'elle cache son visage derrière ses mains, comme prise de frénésie. Des images, des sensations, des émotions lui reviennent en mémoire et son coeur se déchire dans sa cage thoracique. Seigneur, elle était enfermée, séquestrée, comme un vulgaire morceau de chair, comme une poupée oubliée dans un carton moisi.
« Ils m'ont kidnappée.. ! Et lui, il... Il m'a... Il m'a frappée.. ! »
Elle se recroqueville sur elle-même, muscles tendus face à la douleur qu'elle semble encore ressentir. Que lui est-il arrivé ? Elle voit encore le visage de Daniel Klein, penché au-dessus d'elle, savourant avec délice chaque gémissement qu'elle avait poussé. Elle le revoit, sourire énigmatique aux lèvres, assouvissant sa simple envie de violence. Elle revoit les murs, elle ressent le gel, elle se souvient le néon. Elle se souvient du temps inexorablement long. Elle se souvient du bruit de pas au plafond. Elle voulait mourir.
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Jeu 17 Déc - 12:42
