Mon dieu… elle avait vraiment réussi à sortir tout ça ? Siam soupira, les mains presque tremblantes sur sa tasse de thé. Parce que finalement, cela lui avait demandé des efforts de parler. Pour une personne qui comme elle, intériorisait tout -surtout ce qui faisait mal- puiser dans ses forces et sa volonté pour s’exprimer sur un sujet si sensible devenait la source d’un stresse particulièrement virulent. Encore plus lorsque son interlocutrice était une jeune sœur qu’elle s’était contentée d’ignorer des années durant. Ou plutôt, d’oublier. Elle avait tout simplement oublié l’existence de ses parents, et puisque Ciàran et Aileen faisaient partis de l’univers associé qu’elle voulait fuir après s’être prit une gifle monumentale, elle avait aussi fait une croix dessus. Siam avait conscience de les avoir catégorisés. D’avoir tourné le dos à des enfants… Mais à l’époque en était encore une elle aussi, d’enfant… Elle avait alors prit la décision qui lui semblait la moins insupportable. Cela avait été égoïste certes, mais nécessaire. Vital même. Et la jeune femme ne pouvait pas dire qu’elle regrettait son acte. Non, pas le moins du monde. Peut-être que si elle n’avait pas agi ainsi, jamais elle ne s’en serait sortie… Et peut-être qu’eux non plus. Enfin, elle les connaissait encore trop mal pour conclure une telle chose, mais finalement y croire soulageait un peu sa conscience.

Siam trempa alors ses lèvres dans le thé tiède, qui d’ordinaire était une source de réconfort. Là, elle avait l’impression que rien ne pourrait l’apaiser, tant qu’elle serait dans cette maison emprunte de la présence de son frère et de sa sœur. Comme en territoire ennemi comme le croyait son alter-ego qui lui, s’agitait férocement au fond de ses entrailles. Et encore une fois, Siam remercia silencieusement le talisman qui la protégeait de l’agressivité et de la force imposante du Carcajou. Sans lui, elle n’aurait certainement pas réussit à discerner ses émotions de celles de son Alter-ego… Elle n’aurait pas ainsi fait d’efforts. Mais à présent elle attendait simplement qu’Aileen réagisse. La jeune femme aussi devait avoir des choses à exprimer… Même si Siam redoutait un peu ce qu’elle pourrait lui dire. Si elle l’incriminait, la Berserker n’était pas certaine de pouvoir retenir l’animal, talisman Alchimiste où non ! C’était une angoisse qu’elle gardait aussi au fond d’elle, espérant qu’Aileen est plus de jugeote que Ciàran et qu’elle ne l’agresse pas. « Je comprends que tu puisses nous en vouloir J’avoue que le fait d’avoir Ciàran avec moi était un soulagement, et je pense que l’inverse a longtemps été vrai aussi, mais pas dans le sens que tu imagines ! Ce qu’on a vécu à deux, ont dû être tout autant compliqué que toi toute seule. De mon côté je t’ai longtemps envié aussi et jalousé. Parce que tu étais libre de cette emprise que j’ai subi durant toute mon enfance. Tu as pu garder ta part d’enfance. Avec le temps et la réflexion, je me dis que nous avons tous les trois un vécut différent mais tout aussi dur, je ne connais pas le tiens mais voilà c’est ce que je me dis. » Elle acquiesça. L’opinion d’Aileen rejoignait la sienne. Comme elle l’avait dit à Ciàran le matin même, ils ne vivaient pas une compétition. Lui, semblait si persuadé que la vie de Siam avait été un long fleuve tranquille simplement parce qu’elle n’avait pas été élevé par leurs parents… Mais en un sens, la vie d’une enfant perdue sans repères et torturée par la présence d’un alter-ego précoce et virulent valait peut être la souffrance des coups. Ce n’était aucunement comparable. Rien ne l’était… car la souffrance ne se mesurait pas. Quand bien même, personne n’avait à envier son enfance sous prétexte qu’elle n’avait pas connu ses parents. Du moins, c’était ce qu’elle pensait encore maintenant, même si pour rien au monde elle minimisait l’horreur de ce qui s’était produit pour les jumeaux. Et ce, même si elle ignorait encore tout de leur vie.

« Oui, avec des si on referait le monde, c’est sûr. Mais c’était assez bizarre de grandir en se disant qu’il y en a une autre. Ne pas la connaître et ne pas comprendre pourquoi elle n’est pas là. C’est pour ça que par masochisme je me suis plongé dans des études de psychologie. Quelques part je cherchais une réponse à toutes ses questions qui m’ont bercé les soirs de mon enfance parce que j’étais à mille lieues de pensée que tu viendrais sonner à ma porte en fait. » Pour le coup, la réflexion d’Aileen lui arracha un léger sourire. Elle ne plus, n’aurait jamais imaginé les croiser à Ottawa, et trouver un jour Ciàran dans son univers au zoo, sa petite bulle à elle. Pour l’instant, Siam n’arrivait pas à déterminer si c’était une bonne chose ou non. Mais après avoir traversé tant d’épreuve, subit tant de déceptions… à cause d’une partie de son passé sans laquelle elle vivait très bien, la Berserker était tentée de croire qu’en rentrant chez elle, elle tâcherait d’oublier à nouveau et préférerait vivre sans les revoir. Pourtant, elle posa sa tasse encore à moitié pleine sur la table, pour répondre.

« Bah… j’étais aussi très loin de vous imaginer tous les deux ici. Pour être honnête je ne suis pas certaine encore, d’être capable de revenir une nouvelle fois sonner à votre porte… »

Ça, c’était du cassage d’ambiance. Alors que les choses se passaient bien… enfin, qu’elles étaient parties pour l’être. Mais Siam se devait de dire la vérité, Aileen le méritait.  

« Ce n’est pas contre toi, ni contre ton frère mais… j’ai toujours l’impression d’être de trop, je ne fais pas vraiment partie de cette famille. Et je ne sais pas si j’ai envie de faire un effort pour l’être… Tu vois, j’ai réussis à faire quelque chose de ma vie. Enfin un peu… Et j’ai la sensation que si je vous inclus dans le tableau, je risque tout simplement de régresser. »

Encore une fois, Siam se montrait d’une grande sincérité. C’était bien rare chez cette créature qui la plupart du temps, préférait rester secrète, à couvert. Son alter-ego la poussait sans cesse à cela, pour se protéger… et il n’avait pas tort. Il valait souvent mieux dissimuler ses émotions et ses pensées pour survivre. La vie le lui avait aussi apprise, même plus que ses instincts. Mais peut être que sa sœur méritait que l’on fasse une entorse à cette règle, au moins une fois.

« Mais je suis consciente aussi, de vous devoir quelque chose. Les liens du sang, c’est un peu nouveau pour moi, je ne saisis pas tout. Tu comprends ? »

Voilà, au moins s’était dit. Peut-être avec beaucoup de maladresse, et une sincérité hésitante… ambivalente même. Mais c’était dit. Siam pour le moment, n’arrivait pas à savoir où se trouvait ses désirs, où était la frontière avec ses craintes et ses terreurs de petite fille. Il fallait dire que les choses avaient été très rapides. Le matin même, Siam avait croisé Ciàran, pour se retrouver devant la porte d’Aileen quelques heures plus tard. Tout s’embrouillait donc dans l’esprit de la Berserker qui ne parvenait pas vraiment à distinguer le bien du mal entre ses propres émotions, ses envies et ses ressentiments… et ceux de son alter-ego qui fort heureusement, se tenait à distance grâce à au sort de Gabriel. Quand bien même, Siam était perdue, et ne tenait pas vraiment à blesser Aileen par sa maladresse. On pouvait dire qu’elle était chamboulée, mais pour une fois, elle n’était pas agressive. Pas comme avec Ciàran. Aileen avait été suffisamment mâture et réfléchit pour ne pas braquer sa sœur comme son jumeau l’avait fait le matin même, conduisant à une dispute inévitable. Non, c’était différent avec Aileen. Et elle menait Siam à douter, justement, de son envie de fuir sans se retourner vers son passé. D’ailleurs, sa réaction suite aux paroles de Siam avait fini par la convaincre d’y réfléchir plus posément.

« J’entends ce que tu dis même si je ne suis pas d’accord, mais je n’ai rien à t’imposer. Pour ma part j’ai envie de te dire que tu n’es pas de trop. Il n’y a pas de famille, il n’y en a jamais vraiment eut, c’est pour ça que quelques part on pourrait essayer mais cela ne dépend pas que de moi. Mais moi, j’ai envie de te connaître parce que je n’aime pas juger les autres sur une entrevue comme ça, on a malgré tout le même sang et j’ai envie de savoir ce que l’on peut partager. Je ne t’impose rien, et je ne veux pas te forcer. Je pense juste que le fait qu’on se soit retrouver ici ne soit pas une coïncidence, je ne crois pas à ce genre de chose. » Cette preuve de sagesse força le respect de Siam, qui se permit même un sourire. Très léger certes, mais plus serein, qu’elle adressa à sa sœur en signe de reconnaissance. Pourtant la Berserker restait troublée par ce qu’elle venait de dire. C’était étrange, de l’entendre parler ainsi de liens de sang. Mais surtout, c’était déphasant de ne pas être rejetée… de ne pas être jugée. Et Siam, comme son alter-ego semblaient chamboulé par cette chose un peu nouvelle… un peu inattendue de la part de cette jeune-femme qui finalement s’avérait étonnante. Elle eut finalement un regard surpris, souriant pourtant toujours, et laissant le silence planer avant de déclarer d’une voix un peu basse, un peu timide en vérité :

« Et bien … Merci alors. De comprendre. J’ai du mal à faire la part des choses, mais j’ai l’impression que toi si. C’est plus facile de discuter avec toi. Je te promets d’y réfléchir… A tête reposée. »

Mais elle avait peur. Une vraie peur, de celle qui vous tord les entrailles et vous terrasse. Parce que si elle accordait une nouvelle chance à cette ‘famille’, à ce passé qui la révulsait, est-ce qu’elle n’aurait pas un peu l’impression de se perdre à nouveau ? Siam avait mis tellement de temps à se reconstruire. Elle avait minutieusement bâtit sa vie, loin des tumultes de son passé, et voilà qu’elle replongeait. Siam ne savait pas si c’était une bonne chose… Autant du côté des jumeaux que de Selen. Et c’était peut-être un peu trop pour elle à présent.

«  Je vais y aller, je n’aimerais pas croiser ton frère alors que… nous avons réussi à nous entendre. »

C’était un ton légèrement taquin qu’elle avait employé, mais dans le fond c’était sincère. Siam n’était pas certain, étant donné ce qu’ils s’étaient dit le matin même, d’être suffisamment forte pour lui tenir tête sans vouloir la lui arracher… Et puis, Siam avait besoin d’air. Besoin de retrouver son cocon et sa quiétude…

Finalement, cette conversation avait eu un peu de bon. Elle avait eu au moins la vertu de confronter Siam à un morceau de son passé qu’elle avait beau avoir mis de côté jusque-là, ne s’était jamais effacé. La douleur avec. Accepter, la Berserker n’avait jamais réussi à le faire et sa fuite en avant n’avait finalement rien arrangée. Au départ, l’éloignement, le déni l’avait soulagé. Mais avec le temps sans doute, ses vieux démons auraient refaits surface puisque vraisemblables, ils étaient toujours là au point de l’empêcher d’avancer correctement. De se lier à n’importe qui. Gabriel avait réussi ce miracle, Jeremiah aussi mais parce qu’ils avaient beaucoup en commun. Seulement, dans son existence ne restait que l’Alchimiste à présent, et personne d’autre. Laisser les gens l’approcher et faire partis de sa vie demeuraient impossible. Et Siam savait pertinemment pourquoi. Mais elle ne voulait pas de Ciàran et d’Aileen dans sa vie. Enfin … non. C’était étrange comme elle hésitait, par sens du devoir et culpabilité. Finalement, la Berserker ne savait pas si elle en avait vraiment envie, ou non, ce qui la froissait un peu, mais la compréhension d’Aileen était un atout. Parce que loin d’être braquée, Siam se sentait libre de son choix… Et y réfléchirait sans doute véritablement.

« Les études de psycho ça change la façon de voir les choses. Je serais malhonnête si je disais que j’ai toujours pensé ça… Prend tout ton temps. » Siam lui adressa un regard, un léger sourire alors qu’elle se levait pour s’en aller. Loin de fuir cette fois, elle semblait un peu plus sereine. Mais pas pour autant décidé à revenir ici. Car si elle ne fuyait pas, elle avait quand même hâte de quitter les lieux et de rentrer dans son petit cocon à elle. «  Je te raccompagne au moins. » Siam acquiesça alors, profitant de la très courte absence d’Aileen pour remettre son manteau, et balayer une dernière fois le lieu du regard. Quelques objets personnels, des photos des jumeaux. Il n’y avait effectivement aucunes traces des géniteurs Islandais. « Merci d’avoir accepté de parler comme des personnes civilisés et non comme des animaux. Je dirais à Cia que j’ai retrouvé son téléphone dans la boite aux lettres, tout simplement. » Elle haussa légèrement à nouveau les épaules, un tic qu’elle gardait depuis son adolescence, pour enfiler son sac en bandoulière et se tourner à nouveau vers Aileen avec un sourire un peu amusé.

« Pense à aéré un peu, tu sais à quel point les hyènes ont l’odorat fin. »

Si Aileen pouvait s’éviter une ‘scène de ménage’ et préserver le secret de cette rencontre, tant mieux ? Des mots forts avaient été prononcé le matin même avec Ciàran et Siam doutait que ce dernier soit tout à fait ravi d’apprendre que sa ‘grande sœur’ avait eu une conversation avec Aileen plusieurs heures plus tard. Et puis même, pour être honnête, Siam était bien plus à l’aise à l’idée que tout cela reste entre les deux jeunes femmes. Parce qu’elle n’assumait pas sa famille, et que digérer leur présence à Ottawa serait déjà une chose difficile. Autant que Ciàran ne se pointe pas au zoo, encore une fois, maintenant qu’il savait où Siam travaillait. Mais en attendant, elle baissa un peu les yeux et garda le silence quelques secondes avant de déclarer :

« Merci … pour le chocolat. »

Et pour l’oreille attentive également, mais cela, elle ne pouvait pas le prononcer encore. Relevant la tête, Siam tenta d’offrir un sourire plus franc à sa sœur, même si elle était loin de se sentir à l’aise et que cela se ressentait cruellement. Puis elle fourra ses mains dans ses poches, se retourna et prit la sortie, sans se retourner. Le froid à l’extérieur lui mordit les joues, mais se brusque vent glacé qui lui fouettait la peau lui faisait un bien fou. Maintenant, elle pouvait souffler, se détendre, et s’éloigner vers une sérénité toute autre. Pour sûr, ces deux rencontres simultanées lui donneraient l’occasion de réfléchir… mais Siam savait déjà qu’il y avait de très fortes chances pour qu’elle ne revienne jamais dans le coin.