Dans la demeure et ses alentours, tout était tranquille. Aman, penché sur un bonsaï de prunus, défaisait délicatement le lien de métal qui avait servi à lui donner une forme caractéristique de cascade afin de guider sa croissance. Il discutait avec ce dernier par télépathie, lui faisant remarque poliment combien il était peu précoce sur sa floraison, qui aurait dû intervenir deux mois plus tôt. Ses fruits seraient gélifs, évidemment, puisqu'à maturation automnale. Le prunus ne donnerait aucune baie respectable cette année là. Si son ami s'en désolait, le prunus lui, rétorquait qu'un printemps froid l'avait peu décidé à fleurir et qu'il serait bien avisé de cesser de s'inquiéter pour une chose aussi triviale que quelques fruits. Aman renonça à expliquer pour la énième fois à ce fantasque végétal que les fruits étaient une chose importante de son développement et de la pèrénité de l'espèce. Ce têtu lui faisait le même coup chaque année. Un prunus frileux, l'on aurait tout vu.

Ce ne fut d'abord qu'un bruissement dans les arbres alentours. Des murmures, une agitation des feuilles dans le vent. Puis ce fut l'arbre mère de la maison qui le prévint le premier. Quelque chose survolait le domaine. Une créature dont les arbres ressentaient la corruption avec force. Aman laissa son prunus, levant les yeux vers l'arbre central sous lequel il développait ses bonsaïs et ne vit rien. Les arbres, eux, savaient pourtant. Une créature ailée à l'odeur de mort ? Une Stryge ? Voilà qui était inhabituel - non pas qu'un Stryge survole cette partie de forêt mais plutôt qu'il s'y arrête.

Il entendit le Stryge se poser dans l'herbe avant même les deux grosses chiennes. Ses filles fonçaient déjà sur l'intru, les deux grosses rottweiller sentant la nature perturbante du nouveau venu, ce qui déclencha leur agressivité. Aman n'eut que le temps de sortir, alors qu'il sentait l'odeur du sang se répandre et que les grondements et aboiements de ses chiennes dérangeaient le calme du vieux manoir.
"Perle, Quartz, couché !" Fit le Qilin par télépathie. Aussitôt les deux chiennes s'aplatirent au sol dans un gémissement, cessant d'aboyer et de tenter de sauter pour atteindre l'intrus.
L'arbre dans lequel était perché le Stryge protestait contre ce poids sur sa branche mais Aman fit taire mentalement toute cette cacophonie. Un Stryge ? Chez lui ? Il n'aimait pas l'idée mais n'avait fondamentalement rien contre cette espèce. Mais il était une créature de vie et eux de mort : il se sentait toujours un peu mal à l'aise en leur présence.

"Je suis désolé, elles ont eu plus peur de vous que vous d'elles, ça les a rendu agressives. Je suis navré qu'elle vous ai attaqué." Dit-il et sa voix résonna directement dans l'esprit du maître corbeau sur son arbre perché. Le Qilin, cependant demeurait méfiant. "Vous êtes sur mon territoire. Que puis-je pour vous ?"
Comme l'arbre continuait de râler que le Stryge lui meurtrissait la branche, le Qilin roula des yeux au ciel et demanda mentalement au perchoir du stryge de courber sa branche pour que ce dernier descende, ce que fit l'arbre non sans maugréer.
"Je suis désolé, il se plaint de votre poids. Descendez, aucun mal ne vous sera fait."

Il y avait sans doute quelque chose d'étonnant à voir la branche de ce chêne se plier vers le sol, afin de réduire la distance pour un Stryge mais Aman préférait éviter un incident sur ses terres et entre les plantes et les deux chiennes qui lui assuraient mentalement qu'elles désapprouvaient clairement la présence du Stryge, le voilà proche de la migraine.
Se pinçant légèrement l'arrête du nez de ses doigts chargé de bagues scintillantes, lui-même torse-nu à cause de la chaleur, il allait pieds nus, ne portant qu'un simple jeans sali de terre et d'innombrables bracelets et colliers qui tintaient à chacun de ses mouvements. Il était au moins aussi étrange que le Stryge qui venait d'atterrir dans ce coin de forêt paisible.

Cet Stryge n'avait pas l'air menaçant et Aman le fixa un moment en silence, pris de curiosité. Qu'es-ce qui poussait l'un de ces oiseaux des villes près de son manoir ? C'était assez intriguant pour que le Faë en conçoive une certaine curiosité.
Le regardant trébucher et descendre maladroitement de l'arbre, Aman sentit ses chiennes se tendre comme pour bondir mais il leur ordonna de quitter les lieux par la pensée. Docile, les bêtes se levèrent non sans un dernier regard menaçant pour filer dans les bois alentour. Bientôt, on ne les entendit plus mais il demeurait certain qu'elles rôdaient non loin.
La blessure que Perle avait infligée au Stryge semblait déjà refermée, l'avantage des capacités de ces êtres, songea le Qilin qui en fut soulagé : il réprouvait la violence sous toutes ses formes.

Quand au fait que la Gargouille ne cherche rien, ce n'était pas la chose la plus crédible du monde. Les Stryges passaient rarement par ici. Et encore moins par hasard. Mais après tout, pourquoi pas...
"Ce n'est pas grave." Fit gentiment Aman, finalement, devant la réserve de l'autre homme, son visage se fendant d'une expression plus chaleureuse, maintenant que la forêt semblait redevenir plus calme. "Je suis désolée que mes chiennes aient attaqué, elles défendent leur maison."
Les animaux étaient ainsi, lorsqu'ils se sentaient menacés. Néanmoins, il s'en voulait un peu que l'autre ait été injustement blessé.

"Peut-être accepterez-vous un café ou un thé pour que nous ne nous fassions pardonner ?" Aimable, Aman ne semblait guère menaçant. Son malaise à l'égard des Stryges ne venait que de leur nature de morts-vivants - il avait le même problème avec les Sidhs, lui qui tolérait mal le principe de mort de part sa nature si particulière. "Ce n'est pas un vil piège de Faë, je vous assure." Ajouta-t-il pour plaisanter, sachant la susceptibilité des Gargouilles lorsqu'il était question de son peuple.