L'heure est grave. Tu devais travailler ce soir, un service compliqué attendait le restaurant et ton chef t'avait supplié de rester. Soit disant que tu étais la coqueluche de ses dames et que tu rameutais du monde. Tu avais souris, flatté et avait accepté. Sauf qu'à la dernière minute, et par dernière minute tu voulais dire là maintenant, dix minutes avant que tu ne commences, alors que tu mettais ta tenue, voila ce clampin qui vient te dire que finalement, il a plus besoin de toi. Et qu'il faut que tu t'en ailles car il ne pourra surement pas te payer des heures sup'. Vraiment, super ! En bougonnant, tu retires ta tunique et ton tablier, libère rageusement tes cheveux, retire tes chaussures aussi sec et prend ta besace avant de saluer l'équipe. Tu as déjà perdu un temps précieux pour arriver jusque là, et maintenant, il fallait encore que tu rentres. Tu envoies rapidement un message à Merry, mais elle voyait sa meilleure amie ce soir, une certaine Marachezpasquoi. C'était vraiment la soirée de merde par excellence qui se profilait pour toi, assurément.

Alors plutôt que de rentrer, tu essayes autre chose. A vue de nez, tu devais pas être loin de chez Adin, ton tout nouveau cousin. Enfin, pas si nouveau que ça, mais disons que tu l'as connu depuis peu. Il serait peut être tenté par une petite soirée entre mecs. Tu le textotes tranquillement ... et attend que quelques minutes une réponse sans appel. Bah apparemment, il avait déjà une soirée entre mecs de prévu, et pas du genre où tu aimerais participer. Tant pis. Qu'il convole avec son Leprechaun, il faut bien qu'il profite. Tu soupires, la mort dans l'âme. Il ne te restait plus que deux options : sortir tout seul et chercher de la distraction sur place ou affronter ta chère maman et son armée de femelles Faës pour la réunion mensuelle de tu ne savais plus quelle connerie. Ouais, vraiment, l'idée la meilleure restait de fuir l'appartement. Alors tu te mets à la recherche d'un bar. Tu ne portes qu'un débardeur noir et un pantalon camel, tes pieds nus et tes bijoux dans la barbe. Tes cheveux te tiennent chaud mais tu apprécies de marcher en sentant le vent dans tes boucles. Comme d'ordinaire, les regards sur ta silhouette aux pieds nus se font un peu inquisiteurs, mais ta carrure fait rapidement abandonner aux autres l'idée de te critiquer. Ouvertement ou à demi-mot.

Tu marches quelques minutes avant de rentrer dans un bar que tu connais un peu. L'ambiance est cool, y a toujours du monde mais pas trop. Vraiment, c'est pas un si mauvais plan C que ça. Tu penses un peu à Merry qui doit se torcher au vin blanc avec sa snob préférée, et à Adin qui ... non finalement tu évites de penser à ce que peut bien faire Adin. Il vaut mieux. Tu t'installes au bar et commande un smoothie mangue passion ananas à la tequila. Lorsqu'il arrive, tu te poses dos au comptoir et commence à détailler la salle. Il y avait plusieurs groupes de filles qui gloussaient en te regardant dans un coin, un groupe de mecs autour d'une partie de cartes, plusieurs couples dont un qui attire immédiatement ton intention. Immédiatement parce que tu reconnais dans le garçon qui semble noyé sous la conversation assommante d'une très belle fille, un Faë. Tu es trop long pour renifler et à part déduire que ce n'est pas un Djinn, tu ne saurais rien dire d'autre. Il fallait vraiment que tu redemandes à ta mère de te filer des cours de reconnaissances. Tu laisses ton regard flâner un peu de l'autre côté de la salle mais ton attention revient vite sur les deux tourtereaux. Tu as une bonne idée de blague qui germe dans ta caboche et tu as bien l'intention de tenter le coup.

Tu n'es qu'à quelques tabourets d'eux mais ce sera suffisant. L'homme te fait dos, c'est la fille que tu captes du regard. Quand elle croise tes prunelles, les orbes virent au cuivré et un drôle de halo diffuse autour de toi. Un truc un peu fascinant qui t'enveloppe alors que tu fais tourner l'une de tes bagues en or autour de ton doigt en marmonnant en arabe dans ta barbe. Une brume verte pomme s'échappe de toi et enveloppe la jeune femme puis son compagnon Faë. Tu clignes un peu des yeux, pensant très fort à la plus grosse image de trique que tu peux avoir dans ton répertoire -pas penser à Adin avec son copain, pas penser à Adin avec son copain- et trouve mentalement celle d'un acteur porno quelconque. Tu te retournes alors et sirotes ton smoothie quand soudain ...

"ESPÈCE DE PORC. TU ME DÉGOÛTES. JE M'EN VAIS. OUBLIE-MOI, N'ESSAYE JAMAIS DE ME REVOIR. SALAUD !"

Tu pivotes et suis le départ de la jeune femme furieuse en riant dans ta barbe. Sauf qu'en attrapant ton verre, ton regard croise celui du Faë qui a les joues rouges et l'air passablement gêné. Avec un sourire faussement compatissant, tu lui lances à la cantonade :

"C'est des choses qui arrivent, l'ami ! A ta santé !"

"Si ton petit-doigt est aussi en forme que ta bite, alors tu as raison, ahah. Sans rancune vieux ? C'était trop tentant ! Elle était canon mais tu avais l'air d'te noyer quand elle parlait."

Tu échanges un regard complice avec le Faë d'origine inconnu qui vient finalement plus proche de toi. Il saute les quatre tabourets qui vous sépare avec son verre et son air penaud mais suspicieux. Ostensiblement, tu le renifles. Un peu autour du cou, et près du torse -ta mère dit toujours que c'est vers les épaules qu'on devine le mieux la race des Faës, tu parles !- et puis tu croises pour la première fois son regard. Tu n'as pas besoin de le savoir pour en mettre ta main au feu, c'est le cas de le dire ! C'est un Phoenix. C'est bien la première fois que tu rencontres un Phoenix homme -faut croire qu'avant Merry, c'était pas franchement ta priorité de côtoyer des hommes, cela dit. Tu sens pourtant la même chaleur au creux des entrailles que d'ordinaire, rien à voir pourtant avec une quelconque excitation. Non, c'était juste l'intuition des Djinns Iphrines concernant les Phoenix. Une longue histoire façon mille et une nuits que tu adorais quand tu étais gosse.

"T'es un Phoenix, pas vrai ? Et à voir ta tronche déconfite, t'es nouveau dans le coin ?"

C'était plus des affirmations que de réelles questions car tu étais sûr de toi. Tu hèles rapidement le barman pour demander de redonner la même chose à ton nouveau compagnon d'infortune -parce qu'au final, grâce toi, lui aussi allait se taper une soirée solitaire pourrave- et à toi alors que tu sifflais les dernières gouttes de ton smoothie/cocktails. Et puis des tapas. Parce qu'il se faisait faim et que tu étais du genre à avoir besoin de manger. En quantité. Surtout quand la frustration était si grande que ce soir. Tu soupires en pensant à Merry quand la serveuse apporte un bol de nachos à la sauce fromage et du guacamole. Des nachos, c'était un peu comme des chips, finalement, et des chips, ça te faisait juste penser à elle. Tu te secoues un peu la tête, attaches tes cheveux en arrière et te forces à penser à autre chose. Avant de tendre ta main grasse au Phoenix, tu l'essuies un peu sur ton pantalon.

"Moi c'est Jahaal. Je suis un Djinn Iphrine. Pour ça, que j'ai tout de suite deviné ! Santé, vieux !"

"Boarf, t'en trouveras d'autres, t'en fait pas !"

Tu te moques gentiment du Phoenix qui semble bien embêté du départ de sa conquête hypothétique, surtout pour cette raison particulière. Tu le fixes un peu alors qu'il hallucine de ton franc parler. Les Djinns n'étaient pas réputés pour être des Faës capables de discrétion, de mesure et de tenue en public. Alors autant s'y habituer tout de suite, tu étais un fier représentant de ton espèce. Le jeune homme te semble à moitié choqué que tu aies deviné, et tu bombes un peu le torse, pas peu fier de ton effet. Beaucoup de Faës étaient attirés par cette ville sans forcément avoir conscience de la majorité des événements surnaturels qui pouvaient s'y produire. Tu étais dans le coin depuis suffisamment longtemps pour ne plus être surpris de grand chose, alors tu lui fais un clin d'oeil complice.

La serveuse arrive avec le plateau de tapas et leurs boissons et Jahaal lui glisse un billet avec un large pourboire. 174 ans à arpenter la terre et environ 5 piges à travailler comme chef pâtissier dans un restaurant à la mode, tu avais largement de quoi vivre à ton aise, alors pour le coup, tu pouvais bien inviter le pauvre bougre qui avait échappé son coup de la soirée à cause de toi. En se présentant, plutôt ouvert, il te tend la main et tu lui serres vigoureusement, lui écrabouillant un peu les doigts au passage, juste pour le plaisir.

"J'sais pas comment t'as fais, y a que ça, des surnaturels dans le coin. Rien que là, j'suis à peu près sûr qu'le type louche là bas dans le coin est un Stryge. Je suis tout tendu en le regardant et lui aussi m'fixe d'un sale oeil. Et puis pour le coup, disons qu'ça s'apprend. On peut se reconnaître, entre Faës. Ma mère fait ça à l'odeur. Elle essaye de m'apprendre. Je galère les trois quart du temps, sauf avec les Djinns que je reconnais direct, et puis les Phoenix. C'est à cause de notre histoire commune, et du drôle de lien qu'on a entre nos deux espèces. Tu connais pas la légende ?"

Tu plonges la main dans le bol de nachos et t'en mets plein la bouche en mastiquant bruyamment. La soirée prend une tournure plus sympa que prévu. Tu sens ton téléphone vibrer dans ta poche et tu le sors en aspirant un peu de ton cocktail. Le verre tinte un peu contre les anneaux d'or dans ta barbe, et tu reposes à tâtons ta conso en répondant habilement avec un sourire un peu niais. C'était Merry. Elle s'amusait -tout était relatif- avec sa Mara chérie mais elle pensait un peu à toi, alors tu te sentais simplement content. Tu tâches d'effacer cet air d'amoureux béat de ton visage et reportes ton attention sur le fameux Alex.

"Désolé, c'est ma meuf. C'est une Berserker, tu connais ? Enfin bref. Oui bah oui, j'ai 174 piges -putain ça m'rajeunit pas cette histoire- et ça fait à peu près un siècle que j'habite ici avec ma mère. On vit à la cour justement. Elle a horreur d'être au milieu des humains, elle a besoin d'avoir plein de monde féérique qui gravite autour d'elle. Alors voila, j'ai pas eu mon mot à dire. Mais j'avoue que c'est plutôt cool, mais si on croise des gens bizarres, des fois. J't'emmènerais si tu veux ! Et toi alors ? Tu viens d'où comme ça ? Tu as pas l'air d'y connaître grand chose en tout cas ! T'as été élevé par des humains ?"

Le plateau de tapas arriva, avec les boissons, et Alex prit son verre devant lui. Jahaal se servit en premier, tout en parlant, une grande poignée. Ca devait être un bon mangeur. Alex picora quelques nachos tranquillement, après tout, y'avais pas le feu. Son visage se crispa soudainement quand il entendit un mot précis.

"Un stryge ? Sérieusement ? Ce sont bien des meurtriers mangeurs d'hommes, que ferait-il dans un bar ?!"

La discussion continua sous la pressante atmosphère qu'un potentiel Stryge n'était pas loin.  Jahaal passa à un autre sujet... Apparemment, on pouvait "apprendre" à détecter les êtres surnaturels... Dommage qu'il n'ai pas pu apprendre ça avec son père, Alex n'avait connu que des humains... enfin, il pense. Une légende ?

"Euh, de souvenir, les origines des djinns et des phénix convergent, mais de quelle légende précisément parles-tu ? Je connais des histoires sur les phénix, ou les djinns, mais séparément..."

Jahaal sortit son téléphone pendant la conversation, il avait du recevoir un SMS. La personne semblait importante puisqu'il arrêta de parler, laissant un léger blanc dans la discussion. Puis il s'expliqua. Sa petite amie ou femme était une Berserker mais le terme ne disait rien à Alex. Il chercha une histoire de son père pouvant correspondre mais sans succès. Puis un flot d'informations arriva. Jahaal avait quasiment 2 siècles. Ouah, la notion du temps était si étrange pour Alex avec son quart de siècle... Il devait avoir vécu de nombreuses aventures... La nuit n'en finirait pas si il le lui demandait, haha. Et il vivait à la cour... Il pourrait y donc conduire Alex... si il voulait bien ! Ce qui semblait être le cas. Ah il lui posa une question.

"C'est vrai, j'y connais pas grand-chose, mon père m'a expliqué ce que j'avais à savoir sur les phénix, mais peu sur le reste du monde surnaturel. Par contre, il m'a parlé de son passé et des stryges dont il faut se méfier. Du coup, mis à part mon père, je n'ai été élevé que par des humains, en effet. Euh... par contre, Berserker, j'ai pas compris... c'est une espèce surnaturelle aussi ?"

Ce que racontait Jahaal était tout simplement passionnant. Vu son age, il aurait forcément beaucoup à lui apprendre, si Alex pouvait effectivement se fier à lui. Son adolescence lui avait bien appris ça. Mais ça semblait bien parti entre Jahaal et lui.

"Bah disons qu'ils font pas vraiment que ça tout le temps, et puis ce sont pas tous des tueurs cannibales, y en a même des très sympas qu'ont juste pas franchement eu d'bol et qui font comme ils peuvent pour pas trop semer de pagaille autour d'eux !"

Tu grignotes les tapas à une vitesse hallucinante, témoin de ta frustration pour cette soirée à la noix. Bientôt, il te faut recommander une assiette parce que les réserves baissent dangereusement. Tu poses tes yeux sur le Phoenix en face de toi. Il avait l'air aussi perdu qu'un petit mouton au milieu d'une meute de loup. Et si naïf. Tu n'avais jamais eu de périodes compliquées d'acclimatation à ta nature de Faë et à tes pouvoirs. Ta famille t'avait éduquée dans l'optique de ce que tu étais, un bébé génie du feu. Avant que tu deviennes aussi immense et costaud, tu avais effectivement été un petit enfant surement aussi turbulent qu'aujourd'hui. Tu n'imaginais pas autre chose qu'un monde plein de magie, car finalement, tu n'avais toujours connu que ça. L'histoire des Djinns et des Phoenix. Ah c'était ton conte préféré pour t'endormir le soir, et à l'âge des premiers émois hormonaux, c'est un peu le repère qui fait rêver les ado Djinns. Tu lui lances un grand sourire en prenant une voix mystérieuse pour donner plus de corps et de vie à ton récit.

"La magnifique et tumultueuse légende de Sivara, la Reine Phoenix, et de son tendre époux Shahryar le Djinn Iphrine. C'était il y a très longtemps, à la lisière de l'Orient et l'Occident, dans les terres brûlantes du désert. Sivara, Reine des Faës, flamboyante et ravissante Phoenix, s'éprit d'un être étrange d'une espèce inconnue. Apprenant à le connaître, Shahryar lui compta l'histoire de son peuple, les Djinns, isolés du reste du monde surnaturel, vivant dans de petites communautés selon leurs sous-espèces. C'était un Iphrine, un Djinn du feu et son désir pour la Reine se fit d'autant plus torride qu'elle dégageait l'aura des flammes qui l'habitaient. Leur amour devint un brasier qui consuma tout, et leur union fit naître un nouveau peuple à la cour des Faës. Par amour pour son époux, Sivara avait admit les Djinns parmi les Faës, leur offrant protection et intérêt. La légende raconte que Sivara voulut offrir le feu des Phoenix pour transformer son époux plus âgé qu'elle qui approchait de la fin, mais fier et digne de sa race, Shahryar aurait refusé. Mais depuis ce jour, les Iphrines de tout temps rêve de trouver un jour le véritable amour en la personne d'un Phoenix dont les flammes seraient plus attirantes et envoûtantes que n'importe quel charme. C'est pour ça qu'on détecte très bien les Phoenix, pour ça qu'on est sensible à leur feu ! Voila, tu sais tout !"

Tu avais des paillettes plein les yeux en racontant cette histoire. Tu avais cru toute ta vie à l'idée qu'un jour tu tomberais fou amoureux d'une jolie Phoenix et que vous brûleriez l'un pour l'autre d'un amour flamboyant. Mais le sort avait été farceur, comme en condamnant ta mère de s'éprendre d'un humain, tu étais tombé amoureux d'une Berserker. En plus d'avoir une espérance de vie très limitée, par rapport aux Faës, c'était une espèce souvent antagoniste et la plupart des Djinns se méfiait de l'impétuosité des hommes aux totems animaux. Néanmoins, c'était son tempérament farouche et sa sauvagerie qui t'avait tout de suite séduit chez Merry. Ce que l'amour veut ...

"Disons que la plupart des Stryges sont des sacrés fils de pute. Mais j'en connais qui valent la peine d'être connus. Et puis j'aime pas mettre tous les gens dans le même sac sans faire l'effort de les connaître. Et puis soyons francs, avec mes pouvoirs de Djinn, j'ai pas franchement peur d'eux : il me faut qu'une demi seconde pour devenir si petit que je pourrais leur rentrer dans l'oreille sans qu'ils se rendent compte de rien ! Ahaha."

Tu apprécies l'arrivée des nouveaux tapas avec grand bonheur et te jette encore dessus. Parler te donne faim et soif, aussi tu vides presque d'une traite ton cocktail avant de reporter ton attention -et tes paluches grasses- sur Alex. Il a l'air toujours aussi perdu, mais au moins son regard s'est éveillé d'une curiosité palpable. Tu m'étonnes, y avait rien de plus chouette que d'apprendre de nouvelles choses, surtout des choses si cool. Tu lui fais un grand sourire en pensant à Merry et à ce qu'elle pourrait bien dire pour expliquer à Alex ce qu'est un Berserker. Ca serait amusant, assurément.

"Des Berserkers, ce sont des humains qui ont en eux une partie animale. Un totem qui cohabite dans leur corps et leur offre la possibilité d'emprunter leur apparence. En gros, très schématiquement, c'est des humains qui se transforment en animaux. Mais toujours le même. Ils en ont qu'un chacun, et c'est un peu un alter-ego qui sera avec eux toutes leurs vies. Merry, ma copine, c'est une louve !"

Tu avais dis ça en pointant ton torse l'air victorieux, fier et très niais.