Ce cours n’en finissait pas.
Antonin parlait devant une classe d’une trentaine d’étudiants. Des diapositives défilaient, envoyées par son ordinateur au projecteur digital installé dans l’amphithéâtre. Il montrait des artefacts qu’il avait lui-même retrouvé, savourant ce petit moment d’auto congratulation. Les deux étudiantes du premier rang le regardaient avec des étoiles dans les yeux. L’une d’elle possédait un véritable potentiel, un bon esprit critique et une capacité d’apprentissage qu’il savait apprécier. L’autre, par contre, une vraie suiveuse. Il ne comprenait pas comment elle avait pu arriver jusqu’en dernière année. Peut-être en passant sous le bureau de certains professeurs… Incapable de se souvenir de leurs noms, il peaufina son discours, montrant à l’aide de sa longue règle les endroits où une restauration s’était révélée nécessaire.

Puis vint l’inévitable séance de questions / réponses et il eut droit à une flopée d’absurdité dont la moitié, il en était certain, devait être connue et intégrée à leur niveau d’étude. Il répondit, froidement, grommelant, en traitant l’un ou l’autre d’idiots. Un comportement habituel qui choquait les premières années mais certainement pas ceux qui l’avaient déjà eu comme professeur. Unanimement, on le déclarait doué et plus intéressant que la moyenne, puisqu’il ne se contentait pas de débiter son savoir d’une voix monocorde. On le qualifiait aussi de sadique et de connard, arguant qu’il moflait « à la tête du client » ce qui était totalement faux. Par contre, oui, Antonin était exigeant et cela frôlait la psychose névrotique. Mais tout qui réussissait ses cours pouvait se vanter de le mériter.
Une poignée, somme toute, mais l’exploit avait été réalisé plus d’une fois.

La cloche sonna la fin de cette heure interminable où il étalait sa connaissance en mode pilote automatique. Il rangea soigneusement ses différentes feuilles de notes et autres ouvrages de référence, les empilant sous son bras. Antonin n’était pas le genre de professeur à donner cours en costard cravate. Au moins mettait-il une chemise, on pouvait lui concéder cet effort. Hélas, sa tendance à la monochromie noire accentuait sa pâleur naturelle, mais il ne se sentait pas de porter du blanc. Trop pénible pour effacer les tâches de sang et il se contentait souvent de mettre son linge dans la machine à laver, sans prendre la peine de vérifier. Quelques années auparavant, s’étant habillé dans un brouillard matinal, il avait oublié l’énorme tache au niveau de l’épaule et avait dû garder sa veste un jour de canicule.
Plus jamais ça.

Perdu dans ses pensées il remonta mécaniquement jusqu’à son bureau. C’était son dernier cours de la journée et ce soir, il avait prévu de sortir se ravitailler en substances illicites. Il bloquait depuis trop longtemps sur un problème alchimique peut-être capable de le faire avancer dans ses recherches sur les pouvoirs anciens de sa race, à moins que ça ne soit encore une impasse… Parfois, il se sentait vieux. Et souvent, comme tout de suite, d’une extrême mauvaise humeur. Il poussa la porte de son bureau, se demandant vaguement pourquoi celle-ci n’était pas verrouillée, et tomba sur un jeune homme, tranquillement installé sur l’une des chaises. Antonin se figea, interdit, clignant des yeux plusieurs fois puis…

— Encore toi ?!

Ce gamin, il le connaissait bien. Alec Stanford le harcelait depuis plusieurs semaines pour qu’il accepte de lui donner des cours, une sombre histoire de mentor… La bonne blague. Il n’avait pas déjà l’embarra du choix, au sein de sa si prestigieuse famille ? A vrai dire, Antonin n’avait retenu que le propos superficiel, écoutant le gamin d’une oreille, pressé de le chasser. Un tel acharnement frisait le délire pathologique....

— Je dois te le dire en quelle langue exactement ? Parce que j’en parle beaucoup, alors vas-y, exprime-toi ! Et explique-moi comment tu as déverrouillé mon bureau, accessoirement.

Il était persuadé d’avoir fermé à clé. Se trompait-il ou son harceleur était-il, en prime, un bon voleur ?